La veille et le Jour zéro

20h, elle sort de son bain. “J’ai mal à la tête.” Elle vient s’assoir pour manger, trébuche. “Aides-moi, je ne me sens pas bien.”

Elle ne peut pas soulever son bras gauche. “Je vais m’allonger.” Elle veut se relever, s’écroule au pied du lit. J’appelle le SAMU.

21h. Elle est à la Pitié, on l’amène en salle d’IRM. Elle répond aux infirmières et techniciens, elle plaisante un peu. 22h. On l’emmène en salle de surveillance, je la vois passer sur son lit à roulettes, lui fait signe. C’est la dernière fois que la verrai consciente.

23h. “Madame! Madame! Vous m’entendez?” Je commence à comprendre que nous ne rentrerons pas cette nuit.

Jour zéro.

Vers 1h, les deux médecins, celui de la neuro et celui de la réa viennent m’expliquer, avec délicatesse, que des choses graves se sont passées. Qu’elle pourrait en ressortir très diminuée. Avait-elle laissé des instructions? Non, je restitue du mieux possible les rares échanges que nous avions pu avoir à ce sujet. A 70 ans, on ne se prépare pas à mourir.

2h. Deuxième entretien avec les médecins. Le cerveau est envahi par le sang.
– “Appelez vos enfants.”
– “Mais le téléphone mobile ne passe pas.”
– “On va vous en prêter un.”
Je réussis à joindre mes deux fils, ils arriveront une heure après chacun de leur coté. Ils ont pu joindre ma fille aînée qui va prendre le train du matin. Ma benjamine attrapera un avion à Madrid, elles arriveront en fin de matinée. La soeur de mon épouse nous rejoint vers 13h.

Elle est immobile, un tuyau dans la bouche, des cathéters. Des bips et des lumières tout autour, comme dans les séries. Certains veulent y croire, l’appellent, lui dise de se réveiller, puis l’espoir s’atténue.

Quand tout le monde est réuni, le médecin nous explique. Elle doit partir. Il ne nous demande pas notre avis, ne nous demande pas de prendre une décision. Il nous explique que nous pouvons seulement l’accompagner dans le moment où il faudra arrêter le respirateur, sans douleur physique, dit-il.

Ce sera dans quelques heures. Nous lui touchons tous un peu la main ou le bras. Les minutes sont très longues, elles ressortiront nuit après nuit, mais c’est fini. Fauchée en plein vol.

Ce service de réanimation est un exemple. On nous a laissés être auprès d’elle sans aucune restriction. On nous a expliqué, on ne nous a rien caché. Combien en ont-ils vu des ces départs, ces médecins et ces infirmières? Combien de familles ont-ils accompagnées? Merci à cette équipe.

Conseil de famille

Nous rentrons, groggys. On sort les mugs, les thés, les dosettes de café. Que faire maintenant? Organiser les obsèques, oui mais où? Les 7 personnes présentes votent unanimement pour la Bretagne, où elle avait hérité de ses parents une vieille maison qui est le lieu de rassemblement de la famille depuis longtemps.

Il faut trouver une tombe, trouver des pompes funèbres, le temps presse, on a 72 h pour transporter un corps en France. Demain ce sera samedi.

Ceux qui peuvent rentrent chez eux. J’accueille les filles en camping sur le canapé lit. La nuit va être très agitée, les images revienenent sans cesse.